Pour faire une histoire, il faut plusieurs choses : un univers, des personnages, une intrigue et un style. Dans cet article, nous allons nous intéresser à l’intrigue, et plus précisément aux divers enjeux et obstacles qui la constituent.
Une intrigue, c’est un fil rouge, un objectif qui va courir tout le long du livre (ou de la saga, s’il s’agit d’une beaucoulogie). Il peut s’agir de tuer le Grand Méchant dans un roman de Fantasy, d’exorciser le fantôme dans un récit Fantastique, ou bien de contrecarrer les plans d’une société dans la Science-Fiction.
Ce fil rouge n’est pas forcément au premier plan. Il peut se dévoiler peu à peu, rester en filigrane, voire apparaître tardivement.
Malgré son importance, ce fil rouge est rarement le seul enjeu d’un récit, et il est souvent jalonné d’obstacles.
Des obstacles pour avancer et pour reculer
Dans un récit, quel que soit le nombre et l’importance des enjeux, les personnages vont rencontrer un certain nombre d’obstacles (des péripéties), qui peuvent apparaître sous deux formes. Certains vont faire progresser le fil rouge (vaincre l’ennemi va fournir au héros un anneau magique qui va l’aider pour affronter le dragon), d’autres au contraire vont le ralentir (un passage secret qui se révèle hanté par une araignée géante).
Ces obstacles ne sont pas forcément synonymes de scènes d’actions à coup de boules de feu ou d’épées à double lames. Un dragon, un marécage brumeux, un autre personnage, une inondation… sont autant d’obstacles auxquels les protagonistes devront survivre.
Ces obstacles ne doivent pas être trop faciles à surmonter (on doit frissonner pour le héros ! on doit pleurer si son ami d’enfance le trahit ou périt !), ni absurdement difficiles (si votre héros a un bras coupé, le corps brûlé au 42e degré et une flèche empoisonnée dans la cuisse, il est fort peu probable qu’il courre jusqu’au sommet de la montagne). Comme pour tout en écriture, tout est question de dosage et d’équilibre.
Les enjeux comme moteurs de l’intrigue
Les enjeux représentent la volonté des personnages, les raisons pour lesquels ils avancent et se battent. Ces enjeux peuvent être issus d’un désir ( le jeune orphelin se met en quête de son identité) ou d’une nécessité (le Seigneur des Ténèbres va détruire le monde avant la prochaine pleine lune).
On peut en distinguer de deux types : les temporaires (des intrigues/quêtes secondaires) ou le fameux fil rouge dont je vous parlais au début. Ou les deux.
Par exemple, dans Harry Potter à l’école des Sorciers, premier tome de la saga de J.K. Rowling, il est question de trouver qui veut voler la Pierre Philosophale. C’est un enjeu secondaire de la saga, mais le fil rouge du premier tome.
Autre exemple : Fils des Brumes, de Brandon Sanderson. Dans le premier tome de cette trilogie, les personnages tentent de renverser le tyran qui règne sur leur pays. Or, ce sont les évènements à la fin de ce tome qui vont permettre au fil rouge de se dérouler.
Voyez le fil rouge comme un fleuve. Celui-ci peut avoir une seule source ou plusieurs, et peut être nourri par un certain nombre de rivières (j’appelle aussi ça des tiroirs). L’intrigue pourra partir de la source, du fleuve, ou de l’une des rivières.
D’ailleurs, attention quand même à ne pas vous perdre dans vos tiroirs. Il ne s’agit pas de faire durer inutilement le plaisir ou bien de laisser une intrigue inachevée parce que vous l’aurez oubliée, ou bien parce que vous ne savez pas comment la finir. Vos tiroirs doivent servir votre fil rouge, même de façon indirecte, même de façon subtile. Et n’oubliez pas de les fermez à la fin de l’histoire (ou, si vous les laissez ouverts, ce doit être volontaire).
Commencer une histoire ?
On conseille souvent aux auteurs de dévoiler les enjeux le plus tôt possible dans le récit, afin de donner au lecteur l’envie de tourner les pages. Ce n’est pas un mauvais conseil, mais j’y mettrais un bémol.
Il ne s’agit pas nécessairement de donner tout de suite le fil rouge (on pourra l’évoquer, fournir quelques indices, mais pas forcément le placer tout de suite au premier plan, bien que ce soit évidemment possible). Le premier enjeu que le lecteur perçoit peut être secondaire. Le personnage part en quête de son identité (Enjeu temporaire qui démarre l’histoire), or, quand il la trouve, il s’aperçoit d’un problème beaucoup plus vaste (nouvel enjeu secondaire ou fil rouge).
Cela ne signifie évidemment pas qu’il faut laisser votre personnage se balader dans la campagne en cueillant des fleurs. Mais vous n’êtes pas obligés de dire toute de suite la vérité à votre lecteur.
Pour finir, trop de suspense tue le suspense. A un moment, il faudra bien que vous le montriez au lecteur, ce fil rouge. Parce que si le lecteur ne comprend pas ce qui se passe, il risque fort de décrocher. A vous de l’attacher et de ne plus le laisser partir ! Et attention au dosage.
Je suis d’accord. Après, j’avais envie d’ajouter un élément à la réflexion. 🙂
Concernant les sagas (et plus particulièrement celles à succès), l’un des problèmes pour répondre à ce principe d’enjeux est, selon moi, la volonté du lecteur qui s’investi un peu trop personnellement dans l’histoire. Contrairement au one-shot, l’auteur a un risque de perdre la main sur une partie de son oeuvre et devoir modifier, résoudre autrement ou même créer des intrigues secondaires répondant aux demandes du lectorat (c’est valable pour les films/séries/jeux vidéos). J’ai l’impression qu’on laisse de moins en moins le choix aux auteurs sur l’évolution de leur propre oeuvre. Au lieu de dire, j’ai moins aimé telle trame secondaire car elle ne répondait pas à mes préférences/goûts, un lecteur a tendance à dire, « ça aurait du se passer comme ça ». Mais peut-être que comme ça justement, ça ne répond pas à la vision de l’auteur. Je suis comme tout le monde, je fais la critique de certaines oeuvres (et j’emploie très certainement cette fameuse phrase), mais jamais j’irais jusqu’à imposer ma volonté (comme le font certaines communautés). L’auteur a fait un choix, après, cela me convient ou non. Point.
Du coup, j’en viens à ma réflexion, est-ce qu’une intrigue secondaire (et même principale) doit forcément se clore de façon traditionnelle ? Faut-il forcément qu’elle soit terminée avec de gros « warning » (si possible en happy end ou par la mort d’un personnage) ? Faut-il forcément que cette fin soit définitive (peut-on donc rouvrir la trame) ? Est-ce qu’on peut voir la fin d’une intrigue là où s’arrête simplement l’intérêt du personnage (s’il n’a besoin d’accomplir qu’une étape de cette intrigue et pas d’aller au bout) ? Est-ce qu’il faut forcément que deux personnages qui se tournent autour finissent ensemble (je le mets car la romance est l’une des grosses problématiques de fans, avouons-le) ? Est-ce qu’il faut voir une intrigue qui ne nous convient pas comme une erreur d’écriture ou comme un choix de l’auteur ?
Bref, je suis d’accord avec ce que tu dis sur le devoir de l’auteur pour bien définir les enjeux et les mener à terme, seulement, je pense que du point de vue du lecteur, il faut aussi prendre le temps de la réflexion et se demander si ce qu’on critique est une différence de point de vue ou bien un problème d’écriture. Et pitié, arrêtons avec les morts et les romances (jamais, mais jamais, je ne mettrais deux persos ensemble ou je ressusciterais untel pour faire plaisir à quelqu’un. ça ne fonctionne pas comme cela dans la vie). 😉
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Pour ce qui concerne les sagas : oui, et c’est un peu le problème quand l’auteur veut absolument faire plaisir aux lecteurs, respecter les codes populaires, sans écrire ce qu’il veut (je pense notamment aux jeunes écrivains sur les réseaux sociaux, qui demandent « ce qui marche » pour vendre). Cela peut fonctionner, mais je préfère un auteur qui respecte son oeuvre jusqu’au bout sans se préoccuper des autres, car il ne mettra pas le même coeur à l’écriture (cela se voit notamment dans les mangas, avec tous ces arcs plus ou moins bien traités parce que l’éditeur a exigé que l’histoire se poursuivre ou que l’auteur traite un thème particulier).
Le problème maintenant avec internet, c’est que les lecteurs se sentent plus libres de dire « moi j’aurais écrit ça comme ça, je n’aime pas cette fin, je n’aime pas cet arc, je ne voulais pas que truc finisse avec bidule ». C’est bien, mais de là à dire que « l’auteur s’est trompé ».
Et je ne peux que plussoyer ta réflexion sur les romances ! J’ai parfois l’impression que les auteurs se forcent à mettre les personnages ensemble pour amadouer le côté fleur bleue de certains lecteurs, même quand lesdits personnages n’ont rien à faire ensemble. Et puis, ça donne un peu l’impression de « c’est comme ça, les gens sont obligés de vivre en couple, vivre seul c’est pas bien ». Et si on n’a pas envie ? Si c’est le vrai choix de l’auteur, je ne dis rien, il avait sa vision de l’histoire, et c’est la sienne qui compte. MAIS quand l’auteur décide de changer quelque chose parce que les fans le veulent, généralement, on le voit et ça ne fonctionne pas.
Et je suis aussi d’accord sur ta conclusion (décidemment 😉 ). Si je n’aime pas une résolution d’intrigue (voire une non-résolution : dans certains cas, j’aime bien les tiroirs ouverts, comme la fin de Blade Runner ou de The Thing), mais que ça reste logique avec l’histoire, je n’aime pas et puis c’est tout. Et c’est pas grave. Par contre, ce qui m’ennuie, c’est les résolutions « pour faire plaisir ». Autrement dit, le fanservice.
Je vais d’ailleurs disgresser un peu, en parlant des béta-lectures. J’en ai déjà vu qui voulaient imposer LEUR vision à l’auteur. S’il y a une incohérence dans le cheminement ou la résolution, pas de souci, au contraire, il faut le signaler pour que l’auteur change ou complète. Par contre, si c’est juste parce que eux, auraient préféré ça ou ça… ce n’est pas leur rôle (ils peuvent signaler qu’ils n’aiment pas, évidemment, car ça peut éventuellement faire réfléchir l’auteur, mais ne devraient pas insister s’il n’y a pas de « vrai » problème). Et puis le lecteur peut aussi être faillible. Il peut ne pas avoir compris quelque chose, ne pas avoir vu tel ou tel indice…
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Je ne suis pas sûre que l’auteur ait toujours le choix, entre la pression financière et les réseaux sociaux capables désormais en quelques heures de lyncher n’importe qui sur la place publique (même un illustre inconnu peut devenir la proie de l’hystérie ambiante, ça fait peur). Et je pense que justement, certaines personnes s’en servent pour imposer leur volonté. Cette façon de consommer (car vraiment, c’est de la consommation : j’achète donc j’ai le droit d’exiger) a quelque chose de malsain. Enfin bref, on ne va pas faire ici le procès de notre société. 😉
On a beau dire que la société évolue sur certains sujets, je vois tous les jours la preuve que c’est encore loin d’être parfait (ce matin encore, j’allume la télé, je tombe sur les publicités de Noël : petits garçons en bleu avec des voitures, petites filles en rose avec des poupées… voilà voilà…). Du coup, effectivement, faire un accepter qu’il existe des gens asexués et qu’on peut/doit donc en trouver dans les livres, je pense que ce ne sera pas pour tout de suite, malheureusement. Mais même au-delà de ces thématiques importantes sur la diversité, il faut aussi se dire que toutes les situations ne se prêtent pas à la romance. Le cinéma nous a mis dans la tête que chaque fin du monde implique la formation d’un couple héroïque. Mais est-ce que tout le monde consacrerait du temps à établir ce type de relation si vraiment le monde était en danger (je parle pas de se regarder le nombril et de savoir ce que l’on ferait nous, mais de se demander si tout le monde ferait pareil : bien sûr que non, c’est impossible) ? Donc non, on n’a ni tous la tête à la romance (on le répète, mais les gens asexués, déjà en couples et fidèles, veufs et fidèles, hypers exigeants dans leurs relations au point d’estimer que personne ne convient… ça existe), ni le temps de s’y consacrer à la moindre occasion (selon les circonstances, on peut ne pas être sensible aux gens qui nous entourent car ce n’est pas le bon moment). De même, ceux qui critiquent les états d’âmes de certains héros qui hésitent, avancent, reculent, s’engagent, puis non, c’est peut-être bien parce que ça existe en vrai (que l’on soit soi-même toujours sûr de nos choix n’implique pas que ce soit le cas de tous). Et pour conclure, une bonne histoire n’a pas forcément de romance (ou de mort). Voilà. ^^
J’avoue qu’il y a ce risque avec la bêta-lecture. Après, un bon bêta-lecteur ne va normalement pas imposer son point de vue. Si c’est le cas, je pense simplement qu’il faut le remercier et demander à quelqu’un d’autre. 🙂
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Ah, malheureusement, il y aurait en effet beaucoup à dire sur la société actuelle…
« De même, ceux qui critiquent les états d’âmes de certains héros qui hésitent, avancent, reculent, s’engagent, puis non, c’est peut-être bien parce que ça existe en vrai (que l’on soit soi-même toujours sûr de nos choix n’implique pas que ce soit le cas de tous). »
=> Toutafey. D’ailleurs, le fossoyeur en a parlé dans sa chronique sur le film Ça. Certaines personnes avaient apparemment critiqué certains « choix » des gamins, qui paraissent illogiques pour un observateur extérieur. Sauf que dans la réalité, par peur, doute, ignorance, orgueil ou que sais-je, on ne fait pas toujours des choix logiques (choix qui restent cohérents avec un contexte ou une personnalité. Illogique n’est pas forcément synonyme d’incohérent.) Cela me rappelle aussi tous ceux qui n’aimaient pas Sansa dans le Trône de Fer car pas assez intéressante. Sauf que dans la vraie vie, il y aussi des gens pas très intéressants, trop naïfs, trop gentils, trop sensibles, trop… Je ne dis pas qu’un roman doit être le véritable reflet de la « vraie » vie, mais je trouve dommage que certains puissent rejeter un personnage parce qu’il n’est pas badass/trop fort/trop intelligent etc… (Surtout qu’il peut être amené à évoluer).
Reste qu’à trop vouloir « faire plaisir « au lecteur, on risque de se retrouver avec des romans standardisés.
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