Vous lisez Procrastination, S01E19 : Pourquoi un éditeur ?

Les liens vers l’épisode S01E19 : Transcription à télécharger ; Youtube ; Elbakin

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Et dans la suite de l’article la transcription de l’épisode (à noter que le texte à télécharger a une mise en page plus claire, avec notamment un code couleurs et un texte aligné). N’hésitez pas à intervenir dans les commentaires pour évoquer votre expérience !

Vous écoutez « Procrastination », Épisode 19 : Pourquoi un éditeur ?  

Podcast sur l’écriture en 15 minutes.

Parce que vous avez autre chose à faire,

Et qu’on n’a pas la science infuse.

Avec les voix de : Mélanie Fazi, Laurent Genefort, et Lionel Davoust.

Lionel Davoust : On parle beaucoup de la chaîne du livre, de manière générale on parle du milieu professionnel – on ne va pas entrer dans la définition de ce qu’est l’écriture professionnelle, parce que ça pourrait presque faire un épisode à part entière – mais on tourne un peu autour des questions d’édition, et on s’est dit, pourquoi finalement un éditeur ? C’est quoi un éditeur ? Quel est son rôle ? Pourquoi éventuellement en avoir un ? Parce qu’il existe aussi l’auto-édition. Nous trois sommes dans le marché de l’édition dite classique ou traditionnelle, donc l’idée, c’est de clarifier un peu cette fonction, parce qu’à l’expérience on se rend compte que la chaîne du livre et ses fonctionnements sont souvent assez mal connus. Donc pourquoi un éditeur ? A quoi ça sert ? Et d’où ça vient ?

Laurent Genefort : L’éditeur, il est où dans la chaîne du livre ? La chaîne du livre, c’est : d’un côté vous avez l’auteur, tout au bout, c’est-à-dire celui qui va produire le texte, et de l’autre côté de la chaîne, à l’autre bout, vous avez le lecteur. Entre ça, vous avez plein de métiers. Vous avez l’éditeur, vous avez éventuellement le directeur de collection, vous avez le fabricant, le diffuseur, le distributeur et le libraire. Ça fait beaucoup de monde. L’éditeur lui, dans cette chaîne, il va avoir plusieurs rôles. En France, quand on parle d’éditeur, ça va être l’équivalent dans le monde anglo-saxon, de deux mots qui sont : editor et publisher.

LD : C’est ça, l’éditeur et le publicateur, la personne responsable de la publication.

LG : Moi je dirais que c’est… S’il fallait le caractériser par un terme, c’est le chef d’orchestre du livre, pour moi. Il est réellement au cœur du livre, j’allais dire presque dans son process industriel. C’est d’abord lui qui va choisir le texte, c’est-à-dire l’auteur, et qui va régler l’avance sur droits.

LD : Peut-être un petit mot sur ce qu’est une avance sur droits ?

LG : Alors une avance sur droits – qui a fondu ces dernières années, mais on peut en parler quand même – c’est… L’auteur est payé en droits d’auteur, il n’est pas payé en salaire.

LD : Si seulement.

(Rires)

LG : Même si certains auteurs ont été mensualisés, mais ce sont toujours des avances. C’est-à-dire qu’en fait, l’éditeur va être une sorte de banquier pour l’auteur, il va faire une avance sur ce que l’auteur touche en droits d’auteur sur une vente de livres. En général c’est (le droit d’auteur) de 8 à 12 % du prix hors taxe du livre.

LD : Mais comme il faut bien que l’auteur mange…

LG : Voilà, donc du coup l’éditeur va lui faire une avance, qui est une avance garantie. C’est-à-dire que même si le livre n’atteint pas ses objectifs, qui sont couverts par cette avance, l’auteur va garder l’avance. C’est ce qu’on appelle une avance garantie.

LD : Ce qui n’est pas forcément le cas dans tous les pays d’ailleurs.

LG : Oui, et de toute façon la France est en train de rattraper les autres pays, parce qu’en 20 ans l’avance sur ces droits a été divisée par 2. En tout cas moi c’est ce que j’ai éprouvé en tant qu’auteur.

Donc l’éditeur va choisir le texte, il va faire une avance, un travail éditorial sur le texte, c’est-à-dire qu’il va monitorer l’auteur, il va lui dire ce qui ne va pas, etc. Il va faire un travail de corrections. Il va commander la fabrication du texte, la mise en page du texte, puis après sa fabrication physique. Il va dealer avec le distributeur et le diffuseur.

LD : C’est-à-dire les personnes responsables de porter les livres au point de vente.

LG : Et faire la promotion auprès du libraire d’abord, et d’une manière générale auprès des forces de vente. Et il va promouvoir le livre après sa publication, en envoyant des services de presse, etc.

LD : A travers tout le travail d’attaché de presse.

LG : Voilà. Donc dans le travail de l’éditeur, il y a une demi-douzaine de rôles différents. Ça n’a pas été toujours le cas, et l’édition, c’est un énorme passé. On peut remonter au Moyen-Age. Mais si on parle de l’édition moderne, c’est-à-dire industrielle, on peut considérer qu’elle est née au milieu du XIXe siècle avec l’alphabétisation massive, populaire, l’apparition des fascicules bon marché via l’invention de la Linotype puis de la photogravure, puisque le livre c’est avant tout une aventure technique. Et ça, ça a ouvert de nouveaux marchés avec l’arrivée des manuels scolaires, de la littérature de gare, des encyclopédies, etc. Au XXe siècle, il y a eu une spécialisation. L’éditeur abandonne la distribution proprement dite. C’est pour ça que jusqu’au XIXe siècle, quand on parle d’un éditeur dans les livres, on parle de libraire. En fait, c’était des libraires.

LD : Et dans le genre qui nous intéresse, on a encore aujourd’hui une petite tradition de libraire-éditeur : L’Atalante, Critic… sont des libraires à la base devenus éditeurs ensuite.

LG : En tout cas, l’éditeur va abandonner au tout début du XXe siècle la distribution proprement dite pour se concentrer sur le texte et la gestion commerciale. Ça va être ses deux fonctions principales. Ça, ça va professionnaliser les auteurs, aussi. Il va y avoir l’apparition des collections, et à partir de la 2e moitié du XXe siècle, la concentration. On va voir l’apparition de groupes éditoriaux. Moi par exemple j’ai vécu ça avec Fleuve Noir qui était mon premier éditeur dans les années 80. Aujourd’hui, un éditeur c’est ça, ça va être quelqu’un qui va travailler le texte et qui va assurer la gestion commerciale du texte.

LD : Pour moi c’est une notion importante, parce que des fois ce qu’on entend dire… J’étais encore tombé sur un blog où la personne déplorait l’aspect exploitation, infantilisation de l’auteur par l’éditeur. Pour moi, et je trouve très important d’insister dessus, un éditeur c’est un partenaire d’affaire. Et l’auteur signe un contrat avec qui il l’entend, qui il veut. Après évidemment il faut avoir la chance d’être découvert ou d’arriver à cette position de négociation, mais il ne faut jamais sortir de là. C’est vrai qu’évidemment, toute affaire de création est une affaire d’affect, est une affaire personnelle. On a mis son cœur et ses tripes dans son récit, on a envie qu’il soit aimé, lu, etc. Et c’est peut-être une difficulté dans le passage à l’échelon professionnel dans ce métier-là. C’est qu’il y a la casquette créatrice attachée, viscérale, émotionnelle, tout ce qu’on veut, qui met son vécu, son cœur, dans son texte, et il y a un aspect purement business. Parce que l’édition est aussi une activité économique avec un marché, etc. L’éditeur est un partenaire d’affaire et il faut le prendre comme tel. Pourquoi on prend un éditeur ? D’ailleurs pourquoi aucun d’entre nous n’a fait le choix de l’auto-édition ? Je ne sais pas votre cas, mais pour moi je sais que c’est parce que je n’ai ni le temps, ni les compétences pour faire tout ce qu’un éditeur fait. Et donc c’est pour ça que je suis ravi de signer avec un partenaire d’affaire qui va se charger de ça et va mieux le faire que moi. Mon travail, c’est d’écrire des bouquins.

Mélanie Fazi : Il y a une chose qui est parfois mal comprise, c’est quand on parle des contrats justement, avec des gens qui ont ce regard très négatif sur l’éditeur. Par rapport aux droits que l’on cède dans un contrat, on cède un certain nombre de droits à un éditeur. Mais par exemple, moi je suis ravie de céder certains des droits, mettons la traduction vers l’étranger ou l’adaptation audiovisuelle, toutes ces choses-là. Rachat en poche, ce genre de choses. Parce que je sais que moi personnellement, je n’ai pas les contacts, je n’ai pas les compétences, et je n’ai même pas le temps de m’occuper de ça. Si je cède à l’éditeur le droit de faire traduire mon livre, c’est que je sais très bien que de moi-même je ne vais jamais le faire. D’accord, on cède des droits, mais j’ai à y gagner en faisant ça.

LD : Tout à fait. Alors, ce n’est pas le propos et j’espère que ça n’a pas été compris comme ça, loin de moi l’idée de dire du mal de l’auto-édition. C’est juste que quand quelqu’un fait de l’auto-édition, il est tout seul donc il est obligé de tenir tous ces rôles-là, ce qui peut être complexe, voire dantesque. Je ne sais pas si tu…

MF : J’ai l’impression que c’est souvent… que des gens qui se lancent dedans de manière un peu naïve ne se rendent pas compte de la charge de travail que ça représente. Je respecte totalement le choix de l’auto-édition, à partir du moment où on sait dans quoi on s’embarque.

LD : Tout à fait.

MF : Mais j’ai déjà entendu des jeunes auteurs me tenir un discours comme quoi l’éditeur, on n’en a plus besoin, on peut atteindre les lecteurs comme ça, comme on veut, et je crois qu’ils ne se rendent pas compte à quel point on est noyés dans la masse, et la place que ce travail de promotion va prendre finalement.

LG : De ce que j’ai pu entendre, on a parfois des attitudes ambivalentes vis-à-vis de l’éditeur. C’est qu’à la fois on les déteste…

LD : (rires) Mais non !

LG : On a un rapport un peu amour-haine. Mais en fait, c’est parce que l’auteur – et il ne faut pas négliger ça – l’auteur est seul. Souvent, pour être auteur, il faut quand même avoir un égo. Faut le dire, on est souvent assez peu grégaire, même s’il y a des associations d’auteurs. Mais souvent l’auteur est dans son coin, et la faiblesse de l’auteur réside dans le fait que face à l’éditeur, au final il est seul. C’est l’unique interlocuteur dans cette fameuse chaîne du livre. L’unique interlocuteur de l’auteur, c’est l’éditeur. C’est pour ça que c’est très important pour l’auteur de savoir à qui il a affaire. C’est important de savoir quelle est la charge de travail de l’éditeur, à quoi il sert et quelles sont ses prérogatives, parce qu’en principe un éditeur c’est un partenaire.

Dans les faits, ce n’est pas toujours le cas, et il faut le savoir. Moi j’ai pu le voir par exemple lors de l’émergence du livre numérique, quand les éditeurs ont un peu paniqué. Ils ne savaient pas trop ce que c’était et ont essayé de signer des contrats complètement léonins aux auteurs alors qu’eux-mêmes ne savaient pas trop. Là on a vu que les intérêts pouvaient être vraiment divergents par exemple. Il ne faut pas idéaliser ni diaboliser, il faut être entre les deux. Peut-être que par rapport à d’autres métiers, c’est un métier où les rapports humains sont très importants, et où le rapport émotionnel avec le contenu, avec ce qu’on fait, est peut-être plus important que dans certains autres métiers. Du coup ça fausse des fois un peu cet aspect business dont tu parlais.

Par exemple, moi quand je suis rentré chez Fleuve Noir, mon premier éditeur, il y avait une charge émotionnelle très forte, c’était l’éditeur populaire. La plupart des auteurs ne regardaient pas ce qu’il y avait dans les contrats. C’était des contrats type, on signait… J’avoue, pendant longtemps moi je ne lisais pas ce qu’il y avait dans les contrats. J’avais 20 ans, j’étais tellement content d’être publié, je ne regardais pas trop ce qu’il y avait dedans.

Aujourd’hui, je pense qu’un éditeur ou une collection, c’est devenu un label. C’était le cas avant, mais maintenant, je trouve que l’aspect physique importe moins, et l’objet livre vaut moins qu’avant, le label est plus important. Publier par exemple chez Lune d’Encre, pour citer une collection de Science-Fiction que je connais bien, c’est prestigieux. Mon rêve quand j’étais ado, ça aurait été de publier chez Ailleurs et Demain, qui était la meilleure collection de Science-Fiction du monde. Ce qui est vrai (rires). Ou publié au Livre de Poche c’est avoir la reconnaissance commerciale du Mass Market par exemple. Chaque collection – ou chaque éditeur – revêt une importance particulière chez certains auteurs, comme chez certains lecteurs, puisque justement ça représente quelque chose. Ce n’est pas que du business, et il faut en avoir d’autant plus conscience.

LD : Tout à fait. Alors ce n’est pas que du business, mais souvent cet aspect-là est passé sous silence, parce que nous sommes dans des métiers artistiques, et l’affect passe souvent en avant. Ce qui est compréhensible. Mais il faut à mon avis mettre aussi l’accent sur le fait que l’édition, et un éditeur, a une entreprise à faire tourner, a une certaine rentabilité, parce que c’est une entreprise. Et à mon sens, une démarche du professionnalisme quand on passe cet échelon-là, c’est aussi faire la part des choses. Savoir ménager, y compris en soi, avant tout en soi, la différence entre l’affect et l’aspect économique – c’est presque un exercice de double personnalité. Tu parlais des contrats, je pense que c’est peut-être un épisode qu’on pourra faire plus tard…

LG : Oui, ce serait bien.

LD : … sur ce qu’est un contrat d’édition. Comment ça se décortique et comment ça se lit – parce que ça se lit, c’est pas si compliqué que ça en fait.

LG : Encore une fois, dans mon expérience, j’ai eu affaire à des grands éditeurs et des petits éditeurs, et je ne pourrais pas dire par exemple qu’un petit éditeur c’est un bon éditeur et un grand éditeur c’est un méchant éditeur. J’ai eu des cas inverses. Et un grand éditeur en général c’est plutôt normalisé dans les rapports, dans les contrats, etc. Pour moi un éditeur idéal, c’est un éditeur sur lequel tous les aspects de l’édition sont transparents en fait. Et là pour le coup on peut parler de partenariat, quand on peut discuter avec un éditeur ou quand l’éditeur n’hésite pas à discuter du compte d’exploitation du livre.

LD : Complètement.

LG : Ce que va lui coûter son livre, ce qui permet de justifier l’avance sur droits d’auteur, par exemple, ou la faiblesse de l’avance, justement. Et l’éditeur idéal, il se fabrique aussi dans le dialogue qu’on a avec l’éditeur.

LD : Tout à fait. Je me permets de compléter. Pour moi un bon éditeur, sur un côté purement littéraire, c’est-à-dire l’autre rôle… On n’a pas trop parlé de la dimension des corrections, et je pense que c’est important d’avoir un éditeur avec lequel le dialogue est possible, là aussi. C’est pour moi quelqu’un qui va comprendre l’intention du texte et de l’auteur, et qui va lui permettre de dégager le diamant de la gangue. C’est-à-dire comprendre ses intentions et lui montrer là où il n’a pas forcément servi son texte au mieux, ou ses idées, et qui va lui permettre justement de porter le manuscrit plus haut, toujours dans le respect du projet. Pas justement de faire quelque chose de différent, d’essayer de faire un roman de space-opera avec un roman sentimental – ce qui serait un cas un peu extrême. Qui va permettre à l’auteur de servir son idée encore mieux, et qui a ce regard-là et qui va lui donner des pistes. Ou en tout cas qui va pointer là où des soucis peuvent apparaître, là où une idée n’aura pas été servie au mieux.

Nous arrivons à la fin donc petite citation pour terminer. Une citation de John Scalzi sur son excellent blog qu’on mettra dans les notes de l’épisode[1], traduction maison à nouveau car c’est de l’anglais, qui nous donne une définition de l’édition : « L’édition c’est une machine à produire des textes écrits avec compétence. C’est tout. ».

Jingle : C’était « Procrastination », merci de nous avoir suivis, maintenant assez procrastiné, allez écrire.

(Transcription : Symphonie ; Relecture et corrections : CyAltaïr)


[1] Blog de John Scalzi : https://whatever.scalzi.com/

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3 réflexions sur “Vous lisez Procrastination, S01E19 : Pourquoi un éditeur ?

  1. Pingback: Procrastination, podcast sur l’écriture en 15 minutes – La transcription (=>S2E10) | L'Imaginaerum de Symphonie

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