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Et dans la suite de l’article la transcription de l’épisode (à noter que le texte à télécharger a une mise en page plus claire, avec notamment un code couleurs et un texte aligné). N’hésitez pas à intervenir dans les commentaires pour évoquer votre expérience !
S02E02 : Les débuts
(Transcription : Symphonie ; Relecture et corrections : Plokie)
Vous écoutez Procrastination, Saison 2 Episode 2 : Les débuts
Podcast sur l’écriture en 15 minutes.
Parce que vous avez autre chose à faire.
Et qu’on n’a pas la science infuse.
Avec les voix de : Mélanie Fazi, Laurent Genefort, et Lionel Davoust.
Lionel Davoust : Les débuts : comment commencer ? Où commencer ? C’est une question qui revient assez fréquemment.
A beginning is a very delicate time / Un commencement est un moment très délicat.[1]
J’ai envie de raconter une histoire, mais j’attaque par quoi ? Par quel bout je prends le truc ? Et notamment, comment est-ce que je démarre mon récit ?
Laurent Genefort : Alors il y a un mot qu’on utilise parfois dans le jargon, c’est l’incipit. Il y a deux possibilités : c’est soit le premier paragraphe, ou la première phrase même, soit la première page. Pour définir l’incipit, en fait il y a deux définitions. C’est premier paragraphe ou première page. On fera peut-être un épisode spécial là-dessus, mais on va en parler, puisque ça fait partie des débuts. Mais là l’incipit c’est le tout début.
LD : Donc c’est entamer l’histoire, commencer, lancer la chose. C’est quelque chose à laquelle vous pensez consciemment ou qui s’impose ?
Mélanie Fazi : Moi, c’est quelque chose qui a tendance à s’imposer et en même temps – encore plus pour moi avec le format de la nouvelle – le début et la fin sont extrêmement cruciaux. C’est pareil pour le roman, c’est par là qu’on va chopper le lecteur par le col et lui dire « Viens, je vais te raconter une histoire ».
LD : « Ça va être bien, suis-moi ».
MF : Voilà. Il y a énormément de façons de le faire. En fait moi je vois plusieurs manières de commencer. Soit on peut avoir une immersion totalement progressive dans l’histoire, on peut commencer par poser une ambiance, et on va progressivement avancer dans l’histoire. Soit, c’est ce qu’on appelle in media res, on choppe le lecteur et on le balance en plein milieu d’une situation, et ensuite on va construire autour.
J’avais noté quelque chose en réfléchissant à comment commencer une histoire, je dirais qu’un début peut nous dire deux choses différentes. Soit on va nous dire « Il va se passer quelque chose », on commence par poser un décor, une situation… Le lecteur arrive là-dedans et se demande où va être l’enjeu, à quel moment on va commencer à chercher, à quel moment il va se passer quelque chose. Ou bien, on peut se situer un peu plus tard dans le fil narratif et dire « il s’est passé quelque chose ». Par exemple il s’est passé quelque chose d’absolument monstrueux et on va laisser le lecteur mariner.
J’avais pensé à un roman qui m’avait beaucoup marquée pour ça, c’est Le Moineau de Dieu, de Mary Doria Russell. On a une mission évangélique dans l’espace qui s’en va sur une planète pour évangéliser les populations extra-terrestres, et un personnage revient, absolument traumatisé. Le début est extrêmement fort parce qu’on est balancés là-dedans, et on ne saura que tout à la fin ce qu’il s’est passé. On a vraiment un effet d’annonce très fort de « il s’est passé quelque chose de monstrueux ».
On a d’autres débuts au contraire où ça va être très progressif, on commence par poser une ambiance, un décor, etc. Et on attend le moment où on va commencer à poser les dominos qui vont tomber un par un.
LG : Je suis tout à fait d’accord avec toi sur le côté crucial. C’est ce qui va déterminer le genre d’immersion dans laquelle le lecteur va se trouver. C’est pour ça qu’il ne faut clairement pas rater son début. En quelques phrases, ou en quelques pages, on doit faire comprendre au lecteur de quel genre de récit il s’agit. On va poser le contrat implicite avec le lecteur. Alors, c’est assez facile quand on est dans un récit de genre, parce que finalement le travail est déjà à moitié fait. Quand on fait de la Science-Fiction, on sait qu’on va avoir ce décalage dans le temps, dans l’espace… On est déjà sur un terrain connu. Moi, ma technique… Je suis comme toi Mélanie, je commence in media res. Le in media res permet de faire l’économie d’une exposition à part.
LD : Est-ce que tu peux juste élaborer cette notion de in media res ? Parce qu’on est passés un peu vite dessus.
LG : Alors, le in media res, c’est commencer dans l’action. Même au milieu de l’action, souvent. Tout à coup on est dans une pièce, et il y a deux gars qui sont en train de s’écharper, on ne sait pas pourquoi, mais on commence là-dessus. En réalité, quand on dit qu’il n’y a pas d’exposition, ce n’est pas vrai. C’est simplement qu’on va fusionner l’exposition et le premier acte. On va faire notre exposition des personnages, mais on va la décaler pour chopper le lecteur ou le spectateur dans quelque chose de dynamique.
LD : Et donc toi, c’est ta technique ?
LG : C’est ma technique, c’est une façon de me lancer moi-même en tant qu’auteur dans le récit de façon dynamique. C’est aussi une façon de me motiver d’une certaine manière. Dans un récit classique, on entre dans le vestibule, après on va dans le salon, puis dans la salle à manger… C’est-à-dire qu’on traverse les pièces dans le bon ordre. Dans le récit moderne, allez, on fracasse la fenêtre et on rentre dans le récit comme ça, un peu à l’arrache.
MF : J’avais pensé à un exemple de roman que j’adore et qui est un bon exemple de ça. Pour sa première phrase, et pour la façon de nous catapulter. C’est un récit de Stephen King qui s’appelle Dolores Claiborne, qui est frappant dès sa première phrase où on a ce personnage qui parle avec sa voix un peu argotique – que je ne saurais pas vous rendre là maintenant – et la première phrase c’est en gros : « Qu’est-ce que t’es en train de me demander ? T’es en train de me demander si je comprends mes droits ? », et on élabore à partir de là un monologue. Et ce que j’adore c’est que, dès la première phrase, le premier paragraphe, etc. on a la voix du personnage – qu’on entend tout de suite – on a la situation – c’est une femme qui s’adresse à un homme, c’est une femme qui s’adresse à un policier – elle parle des droits donc on comprend qu’il y a un élément criminel et que c’est sa déposition à la police qui est en train de l’interroger. Et on est littéralement catapulté en plein milieu du dialogue. Et je trouve que c’est un exemple vraiment frappant.
LD : C’est là en filigrane, je pense que c’est toute la notion de passer un contrat avec le lecteur. Ça nous rappelle l’épisode des Promesses narratives, si ma mémoire est bonne c’est le 20 de la première saison. L’évolution entre le récit classique et le récit moderne, pour moi, est cruciale dans la manière dont on approche la littérature, puisqu’on est de plus en plus bombardés de motifs narratifs et que l’intérêt du lecteur doit être suscité de plus en plus vite, de plus en plus en plus tôt. On peut considérer ça comme un effet mécanique, peut-être, regrettable, du fait qu’il faut aller plus vite, mais j’ai l’impression que le début est d’autant plus crucial de nos jours, par le fait que le lecteur, le spectateur, quel que soit le motif narratif, a l’habitude qu’on suscite son intérêt de plus en plus vite. Et derrière ça, il y a le fait de mettre en place très vite l’intérêt du lecteur, lui donner envie d’aller plus loin, c’est-à-dire derrière, lui poser des questions, lui poser des problèmes, et susciter son intérêt avec des enjeux.
L’intérêt pour moi de démarrer in media res… Alors, on a mis le fait sur l’action, c’est-à-dire il se passe tout de suite un truc et on ne comprend pas, ce n’est pas nécessairement une action qui est belliqueuse.
LG : Oui, tout à fait.
LD : Ce n’est pas nécessairement une action basée sur la violence. Si tu prends le cas de Dolores Claiborne, par exemple, on n’est clairement pas dans une scène de conflit mano à mano, mais par contre le conflit est très net : on a quelqu’un qui visiblement est arrêté, et tout de suite ça pose une question. Dans la narration moderne, ce qui me paraît crucial, c’est poser des questions au lecteur dont il a envie d’avoir les réponses. Ça me paraît super important aujourd’hui. Ce n’est pas très loin dans le passé, mais je pense qu’on ne peut plus faire un prologue à la Tolkien, posant le monde en 40-50 pages. Tolkien l’a fait, c’est extrêmement difficile aujourd’hui de le refaire.
MF : On peut toujours, mais c’est un peu passé de mode, c’est compliqué à réussir.
LG : On peut toujours quand l’univers est intéressant. Il ne faut pas non plus négliger je pense…
LD : Un prologue encyclopédique, est-ce que tu penses qu’on peut encore le faire, ça ?
LG : Non, je ne pense pas, sincèrement. En revanche, on peut prendre son temps et être en décalage. Alors, pas forcément dans le tout début, mais assez rapidement en fait. Ce qui est intéressant souvent, c’est le cas des descriptions, c’est quand on est dans le décalage. Quand on apporte un décalage très vite, on va susciter cette espèce de dépression, qui n’est pas forcément une dépression dans l’histoire, c’est-à-dire une sorte de déséquilibre dans l’histoire. Ce déséquilibre peut être instauré très vite sur plein de choses. Ça peut être une psyché déséquilibrée, par exemple on va présenter d’emblée des personnages très en déséquilibre. Ce qui ne veut pas dire qu’ils sont en déséquilibre dans l’histoire, ils peuvent être dans un déséquilibre intérieur. Donc effectivement, on peut susciter l’intérêt de plein de façons, et tous les éléments du récit sont bons pour ça.
MF : Il y a un élément qui me paraît aussi important, une question à se poser, c’est la question du moment à partir duquel on commence. C’est-à-dire est-ce qu’on est dans une narration où on suit un fil classique du début vers la fin, est-ce qu’on se situe avant les évènements, est-ce qu’on se situe après ? Et on a des éléments de suspense qui peuvent naître de ça. Si par exemple un personnage prend la parole après les évènements, on peut déjà supposer que le personnage a survécu. On peut déjà donner ce genre d’infos qui vont être des éléments de suspense.
LD : Oui, tout à fait.
LG : Autre cas intéressant de début, c’est celui de Big Little Lies, qui est une série américaine avec une saison unique, c’est une histoire sur une dizaine d’épisodes. Ça commence par : il y a eu un meurtre, quelqu’un est mort, on ne sait pas qui, et on ne sait pas par qui il a été tué. Et donc tout le reste de la série, ça va être qui a été tué et par qui. C’est une prolepse, on est dans un flash forward, simplement c’est une sorte de mise en condition, mais on sent implicitement que ce n’est pas une intrigue policière. C’est quelque chose de purement psychologique, et on se rend compte que tout le monde aurait pu être tué par tout le monde. C’est ça qui est intéressant dans la série : on a un meurtre, mais très vite en quelques minutes on se rend compte que ce ne sera pas une série policière. C’est très intéressant ça comme début par exemple.
LD : Quand tu parles de déséquilibre, je pense que ça nous vaudra un épisode sur la notion de conflit, tout simplement, plus tard.
Ce qui me paraît aussi crucial sur le début, c’est ce que dit Roger Zelazny qui, dans ses mémoires, je crois, met toute l’importance sur le début, mais côté rédaction. C’est-à-dire que pour lui, le début il le travaille et le retravaille. Il l’a beaucoup retravaillé sur certains textes. Parce que le début va aussi lui donner un cap et une direction, et que c’est important pour lui d’avoir bien cerné cet élan, pour être sûr qu’il va aller dans la direction qui est importante pour lui. Alors, là on a beaucoup parlé de l’importance du début pour le lecteur (quand il le reçoit), mais je pense qu’il y a un élément dont on parle assez peu, c’est aussi l’importance pour l’auteur de manière à établir, si le récit est une flèche – on a parlé dans l’épisode précédent de l’élan – et bien, il faut s’assurer de bien viser correctement.
Et ce qui est intéressant chez Zelazny, c’est qu’il dit à quel point il va peut-être passer 50 % du temps sur le début de son récit quand il écrit une nouvelle, par exemple, et peut-être 50 % de ce temps-là sur le 1er paragraphe, la 1re phrase, pour être vraiment sûr d’avoir la bonne direction, le bon élan, et les bons dominos à faire tomber ensuite quand l’élan sera construit. Je pense que ça pourra nous relier aussi à la présentation de l’univers.
MF : C’est important aussi des fois d’avoir un début, notamment une première scène, dans lequel on se sent vraiment à l’aise parce que c’est le moment où on se catapulte soi-même, où on plonge dans la piscine. On tâtonne un peu moins sur le début et on se met en condition pour ce qui suit.
LD : Je pense que ce qui est important à mettre en exergue, c’est que commencer in media res, donner des enjeux, etc. c’est souvent mal compris, notamment parce que les Américains sont un peu trop focalisés là-dessus. C’est que ça n’a rien à voir avec une action qui est belliqueuse, qui est violente, où il y a un danger de mort, etc. Pour moi, et c’est ce que vous disiez tout à l’heure, dans les romans récents il y a un très bon exemple pour ça, c’est L’Inclinaison de Christopher Priest, qui vient de sortir en France au moment où on enregistre, où c’est principalement un récit de voyage. C’est la tournée d’un musicien assez renommé dans des îles, donc il va dans des îles, il se passe des choses un peu bizarres, car ce sont des cultures qu’il ne connaît pas, mais il n’y a pas de danger de mort, c’est pas Jason Bourne[2], c’est même plutôt l’antithèse de ça. Mais c’est absolument passionnant parce que dès le début, et c’est là qu’on retrouve cette notion de déséquilibre, le personnage nous dit – attention, c’est un spoiler de la première page – que ce voyage, ce sont les mémoires du personnage qui raconte sa vie, et qui dit « ce voyage-là va me faire perdre ma femme, ma famille, et je vais rencontrer le Graduel ». Et on ne sait pas ce que c’est le Graduel. À partir de là, on a qu’une seule chose, c’est qu’on continue à lire le récit de la tournée, parce qu’on se dit : quand est-ce que ça va merder ? Quand est-ce qu’il va y avoir le problème ? Mais voilà, encore une fois, il y a cette question de : un personnage avec des enjeux, des questions auxquelles tout simplement on veut la réponse, parce qu’il se passe quelque chose, et le récit est pertinent, et le récit nécessite qu’on s’y intéresse.
Eh bien ma foi, nous arrivons à la fin. C’est un sujet sur lequel on reviendra, pour l’incipit et toutes les techniques aussi d’exposition d’univers, je pense. Exposer un univers de l’imaginaire, où se rajoutent toutes les difficultés inhérentes à un univers de Science-Fiction, de Fantasy ou de Fantastique, nécessite tout un tas de techniques qui sont vraiment spécifiques aux genres. Je pense que c’est quelque chose que laquelle on pourra revenir en grands détails.
Petite citation pour terminer ?
MF : Oui, donc nous avons une citation cette fois d’Alan Moore, qui nous dit dans V pour Vendetta « La fin est plus proche qu’on ne le pense, et elle est déjà écrite. Tout ce qu’il nous reste à choisir, c’est quand commencer ».
Jingle : C’était Procrastination, merci de nous avoir suivis. Maintenant assez procrastiné, allez écrire !
[1] Extrait du Film Dune, 1984
[2] Personnage principal d’une série de romans de Robert Ludlum, puis Eric Van Lustbader, adaptés en films.
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