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Et dans la suite de l’article la transcription de l’épisode (à noter que le texte à télécharger a une mise en page plus claire, avec notamment un code couleurs et un texte aligné). N’hésitez pas à intervenir dans les commentaires pour évoquer votre expérience !
S02E06 : La rémunération des auteurs
(Transcription : Symphonie ; Relecture et corrections : Plokie)
Vous écoutez Procrastination, Saison 2 Épisode 6 : La rémunération des auteurs
Laurent Genefort : C’est l’épisode spécial dépression (rires)
Podcast sur l’écriture en 15 minutes.
Parce que vous avez autre chose à faire.
Et qu’on n’a pas la science infuse.
Avec les voix de : Mélanie Fazi, Laurent Genefort, et Lionel Davoust.
Lionel Davoust : On va parler de gros mots, on va parler d’argent, on va laisser entendre que l’auteur n’est pas énergie pure et ne vit pas d’amour, d’eau fraîche et de livres.
Laurent Genefort : Voilà. On est d’accord, on n’est pas assez payés. Je crois que nous sommes tous les trois d’accord.
Mélanie Fazi : Ça, c’est clair.
LD : Ceci dit, alors, comment, justement… On n’est pas assez payés, mais comment est-ce que l’auteur est payé ?
MF : Au lance-pierres.
LD : Je l’attendais, celle-là.
LG : Alors, le système en France : l’auteur est payé en droits d’auteur. C’est un statut spécifique, ce n’est pas un bénéfice, ce n’est pas un salaire, c’est un droit d’auteur.
LD : Oui. On parle de ça parce qu’en fait, une des choses dont on se rend compte, c’est qu’on traite d’un certain nombre de sujets « de base » sur la façon dont le monde du livre fonctionne, et en général l’expérience prouve que ce n’est pas tellement connu de l’extérieur.
LG : Alors, le droit d’auteur c’est quoi ? C’est la part réservée à l’auteur du prix de vente du livre. Donc par exemple quand vous achetez un livre 20 euros, il va y avoir une partie de cet argent qui reviendra à l’auteur.
LD : Juste je fais la différence. On parle des droits d’auteur, il y a le droit d’auteur qui est le cadre de loi qui encadre les droits de l’auteur sur l’œuvre.
LG : Là, on parle d’argent.
LD : C’est vraiment un autre sujet, là on parle plus des droits, c’est-à-dire des royalties, en un sens.
LG : Voilà, c’est ça. Ce système des droits d’auteur, on va parler du pourcentage en lui-même après, mais ce système de droits d’auteur, ça implique quand même une chose, c’est que l’auteur est payé après, puisqu’il faut que le livre ait été acheté. Donc les droits d’auteur, c’est quelque chose qui intervient bien après, en général un an après, à la reddition des comptes.
Ce qui est un peu gênant, quand même, quand on a produit plusieurs mois de travail. Donc quand il y a eu, au début du XXe siècle une professionnalisation des auteurs, il s’est instauré un système, le système des à-valoir, qui est une avance garantie. Avancée par l’éditeur à l’auteur, soit directement à l’acceptation du manuscrit, soit à la parution du titre ou soit moitié-moitié, c’est-à-dire une partie à l’acceptation du manuscrit définitif, l’autre partie à la parution du titre.
LD : Cet à-valoir reste effectivement acquis, ce qui n’est pas forcément le cas aux Etats-Unis, où un certain nombre d’auteurs de l’âge d’or vendaient bouquin sur bouquin sur bouquin, parce que l’éditeur pouvait tout à fait être fondé en cas de mévente deux ans plus tard à demander que l’auteur restitue les sommes qui avaient été avancées. Ce qui faisait du coup une forme de canal, qui j’imagine pouvait être très angoissant, où ils remboursaient l’avance de l’éditeur précédent avec le bouquin suivant qu’ils avaient vendu, en espérant qu’à un moment il y aurait quelque chose qui explose et qui leur permette de rembourser les dettes.
LG : Alors, en général, quand l’à-valoir est élevé, il y a une espèce de pratique implicite qui voulait jusqu’à récemment que quand un à-valoir était élevé, les droits d’auteur étaient faibles, et que quand les droits d’auteur étaient élevés, les à-valoir étaient faibles.
LD : Oui. Juste pour clarifier, imaginons… chiffres absurdes mais pour faire simple : je touche un à-valoir de 1000 euros sur mon livre, et je touche 10 % en royalties sur un prix de vente public mettons de 10 euros. Ça veut dire que je touche 1 euro par livre. Tant que je n’ai pas vendu plus de 1000 livres, c’est-à-dire 1000 euros, je ne touche rien de plus. On en a parlé sur l’épisode sur l’édition, c’est l’éditeur qui porte le risque financier, donc si ça n’a pas vendu, il y est de sa poche. Si par compte ça va au-delà, je commence à toucher des royalties, tous les ans espérons-le, sur les ventes d’année en année des bouquins.
LG : Ce qu’il faut savoir, concrètement, c’est quoi, c’est combien en fait le pourcentage ? Le pourcentage, on va dire pour une première édition de moyen format, c’est la première fois que votre livre est publié, vous allez toucher entre 8 et 12 %. C’est à peu près la fourchette… Mélanie ?
MF : Parfois moins.
LG : Parfois moins, pour une première édition.
MF : Oui.
LG : Mais pour une première édition d’un inédit, par un éditeur sérieux, c’est on va dire entre 8 et 12 % – 12 % c’est rare. Et en réédition en poche, là on va tomber de 7 à 8 %, et parfois moins. Mais en tout cas pour la littérature adulte – parce qu’il faut aussi faire remarquer qu’en littérature jeunesse il y a une longue tradition d’exploitation qui fait que les pourcentages étaient moindres jusqu’à très récemment.
LD : La raison historique pour laquelle les pourcentages étaient moindres, c’est qu’il y avait beaucoup de livres illustrés, et donc la part auteur était « divisée » entre auteur et illustrateur. Malheureusement l’usage est resté, ce qui fait que même quand il n’y a pas d’illustrateur, que le bouquin n’est pas illustré, il n’y a quand-même que cette petite part pour l’auteur.
LG : Donc moi, ce que je peux dire, c’est quand je dépose un manuscrit chez un éditeur, je demande 10 % pour un manuscrit inédit.
LD : Oui, moi aussi.
LG : Et là je parle du roman, évidemment. Puisque pour les nouvelles, on pourra en parler, parce que ce n’est pas tout à fait le même système.
LD : Alors, parlons des nouvelles.
MF : Les nouvelles, ça dépend quand même beaucoup des cas particuliers, mais disons que la particularité de la nouvelle, c’est que souvent elle va vivre deux vies différentes. Souvent, elle va être écrite pour une anthologie, ou pour une revue, à ce moment-là ça va être un travail de commande et on accepte un certain prix.
LG : C’est un forfait.
MF : Ou un forfait, oui. Et ça peut être extrêmement variable pour le coup. Moi une fois, j’ai publié dans Le Monde, et c’était une somme incomparablement plus élevée que ce que je touche, disons, pour un petit éditeur. Et très souvent les nouvelles vont ensuite être reprises dans des recueils, et à ce moment-là le recueil est traité en tant que tel, avec les mêmes conditions que le roman. C’est-à-dire que la nouvelle va me rapporter… je ne sais pas, 1/10 de ce…
LD : Oui, le pourcentage.
MF : Ensuite on ne traite plus en tant que nouvelle mais comme recueil en tant que tel et c’est le même contrat que pour un roman. Donc la nouvelle a deux vies, effectivement.
LD : D’accord.
LG : Et globalement, on peut dire qu’un roman c’est plutôt des droits d’auteur, et qu’une nouvelle c’est plutôt un forfait.
MF : Plutôt un forfait, exactement. Je n’ai jamais touché de droits d’auteur sur une nouvelle, je ne crois pas. En dehors de cette question de la reprise en recueil.
LD : En plus, ça nécessiterait des calculs invraisemblables parce que…
MF : Ce serait un petit peu compliqué.
LD : Parce que ça veut dire que c’est déjà un petit pourcentage, et il faut faire ça au prorata de la taille du texte sur le total. Et malheureusement on le sait, les anthologies ont tendance à se vendre moins que les romans, donc ça impliquerait des calculs ridicules de fractions de centimes.
LG : Ouais… Alors, dans les contrats d’édition, il est indiqué l’à-valoir, quand il existe, il est indiqué les droits d’auteur en fonction du nombre d’exemplaires vendus. C’est-à-dire que par exemple, c’est courant dans les contrats, vous pouvez tout à fait avoir jusqu’à 5000 exemplaires vendus, vous allez toucher 8 % de droits d’auteur ; de 10 000 à 12 000 exemplaires vendus vous allez toucher 10 %, et au-delà de 12 000 exemplaires vendus – ce qui n’arrive quasiment jamais – vous allez toucher 13 % par exemple.
LD : Oui, tout à fait.
LG : Sachant que les contrats d’édition portent sur l’édition et les réimpressions, c’est-à-dire par exemple quand votre bouquin va être édité à 3000 exemplaires, il va d’abord être imprimé à 3000 exemplaires, s’il marche bien il va être réimprimé. Ça, la réimpression à l’identique de votre livre, il sera soumis exactement au même contrat.
Le contrat d’édition va aussi déterminer les rééditions. C’est-à-dire que par exemple, l’éditeur s’arroge le droit de négocier pour vous auprès de l’éditeur, poche, et il va se prendre en général la moitié des droits d’auteur derrière.
LD : Ce qui est une bonne chose, parce que l’éditeur a les contact avec les éditeurs poche.
LG : Voilà, et ça fait partie du risque, il se rembourse du risque qu’il a pris.
LD : Tout à fait.
LG : Et le contrat va aussi parler des droits dérivés, des adaptations, BD, etc. Sachant que les contrats d’adaptation audiovisuelle et les contrats en principe numérique doivent faire l’objet d’un contrat à part.
LD : Tout à fait.
LG : Ce qui n’est pas toujours le cas.
LD : On a parlé du papier, en numérique ça donne quoi, la rémunération ?
LG : Alors, j’ai pas évoqué…
LD : Je peux le faire.
LG : Et je me demande si ça ne vaut pas le coup de faire un épisode spécial sur le numérique ? Ça vaut vraiment le coup.
LD : On fera. Mais alors en gros, sur le numérique – faudrait limite faire un épisode aussi sur la chaîne du livre – mais en numérique en général les pourcentages sont plus élevés, parce que certains échelons disparaissent. Il n’y a pas de fabrication, il n’y a pas de stockage, et le stockage ça coûte des sous, sur une écriture comptable.
LG : Donc il n’y a pas de diffuseur/distributeur.
LD : Alors, si, il y a quand même quelqu’un qui est un responsable en général, il y a des diffuseurs/distributeurs, puisqu’il faut mettre les bouquins dans…
LG : Alors, il n’y a pas de distributeur.
LD : Il n’y a pas de distributeur, mais il y a un diffuseur.
LG : Exactement.
LD : Puisqu’il faut mettre les bouquins chez Apple, chez Amazon, chez Google, dans toutes les librairies indépendantes immatérielles, 7switch etc., c’est la même chose.
LG : Par contre le libraire, c’est la plateforme, c’est-à-dire Apple, Amazon… et ça c’est les libraires, c’est la part libraire.
LD : Alors, la part auteur en général, dans le numérique, tout le monde est à peu près d’accord pour dire que la part auteur doit être supérieure. De combien, on ne sait pas trop. En tout cas, le même pourcentage que le papier, à mon avis, ce n’est pas une bonne idée, c’est pas possible.
LG : Non, mais ce n’est pas beaucoup plus en réalité, c’est le double.
LD : J’ai plutôt entendu autour… Alors, justement, cette discussion montre bien que ce n’est pas gravé dans le marbre et que c’est en train d’évoluer. La chose que j’ai plus ou moins vue, c’est autour de 30 % en général.
LG : Dans les contrats que moi j’ai signés, c’est plutôt 20 %.
LD : Je vois de 30 à 50 %, tu vois. Donc comme quoi. (rires) Mais voilà, ces choses-là sont toujours en train d’être…
LG : Bon, vous voyez pas ma tête… (rires).
LD : C’est bien la preuve que les choses sont toujours en train d’évoluer, de changer, il y a eu des tas de dispositions qui ont changé l’année dernière aussi, des choses qui sont entrées dans la loi et tout. Bref. Est-ce qu’on peut oser de… Oui ?
MF : Je ne sais pas si vous aviez encore des trucs à développer sur strictement la rémunération, le contrat, les pourcentages ? Quand on nous pose la question de ce que gagne un auteur, on focalise beaucoup sur la question des ventes, et en fait il y a beaucoup d’autres choses. Il y a les reprises en poche, les négociations, les ventes de droits pour l’audiovisuel ou autres, et par exemple on va toucher pas mal d’argent aussi sur des choses comme les rencontres scolaires. C’est quelque chose qui est à la fois passionnant à faire et qui est très très bien payé, ou les droits en bibliothèque par exemple. La SOFIA va nous reverser de l’argent sur les livres achetés pour les bibliothèques.
LG : Alors, oui, ça c’est ce qu’on appelle les droits annexes, pareil, ça nécessiterait presque un épisode. Dans la rémunération auteur… Il faut savoir de quel auteur on parle. Pour moi, il y a trois types d’auteurs : l’auteur de best-sellers, l’auteur de mid-list (ou auteur de fond), et l’auteur occasionnel, celui qui a un « vrai » métier. Là ce dont on parle, ce dont on se concentre dans l’épisode, c’est l’auteur de mid-list, c’est-à-dire l’auteur qui vit de sa plume. Et la question qu’on peut se poser, c’est peut-on encore être un auteur professionnel, c’est-à-dire un auteur de mid-list, aujourd’hui, sans être auteur de best-seller, justement ?
MF : Beaucoup ont un métier à côté.
LG : Et avoir un métier à côté c’est une façon de dire qu’on ne peut pas en vivre.
MF : Oui.
LD : C’est d’ailleurs, je pense, la question à laquelle on a tous droit : « D’accord mais tu fais quoi à côté ? ».
LG : Voilà. Moi personnellement, ma définition d’un auteur professionnel, c’est un truc complètement trivial. Pour moi, quelqu’un qui peut se définir comme auteur professionnel c’est quelqu’un qui dépasse le seuil d’affiliation à la caisse des auteurs. C’est-à-dire celui qui dépasse en droits d’auteur 8800 euros par an.
LD : Vous imaginez, 8800 euros par an ça ne va pas très haut…
LG : Par an, ce qui fait grosso modo entre le RSA et le SMIC.
MF : Mais tout le monde ne le fait pas, loin de là.
LG : Tout le monde ne le fait pas, exactement. Donc pour moi, un auteur c’est quelqu’un qui peut être affilié, qui gagne suffisamment de droits d’auteur, pour être affilié à la caisse des auteurs.
LD : Tout à fait.
LG : Mais ça ne veut pas dire que c’est uniquement du roman. C’est du roman, de la traduction, du scénariste BD… C’est-à-dire que vivre de sa plume ça ne veut pas dire vivre du roman, c’est quelque chose de plus général.
LD : On touche à la fin, donc je pense que ça pourra faire un épisode entier « vivre de sa plume ».
MF : Oui.
LD : On pourra entrer en détails sur les différents modes…
MF : Il y aura beaucoup de choses à dire.
LD : Oui, là on a juste donné un panorama général de comment l’économie fonctionne, d’ailleurs je pense qu’on pourra faire ça sur presque tous les échelons de la chaîne du livre.
LG : Alors, c’est quoi le calcul finalement ? Quand on vend, comme beaucoup d’auteurs, c’est notre cas à tous les trois dans cette pièce, quand on vend entre 3000 et 5000 exemplaires d’un roman en primo-édition par volume, ça veut dire qu’il faut publier entre 2et 3 romans par an, plus des rééditions, ou alors un roman et des traductions, ou un roman et des scénarios de BD, ou un roman et des films et activités annexes. Et en général il faut avoir un copain compatissant, ou une copine compatissante. (rires)
Et donc aujourd’hui, il faut aussi voir que c’est plus difficile aujourd’hui qu’il y a 20 ans. Les collections qui permettaient une forme de salaire dans les grandes années, les années 70-80, il y avait certains auteurs qui étaient mensualisés. Aujourd’hui, ces collections ont disparu. Il y a eu une baisse régulière des ventes de livres par titre depuis les années 90. C’est dû notamment à la concurrence des médias. Cela a abouti à une précarisation des auteurs, clairement. Dans les années 80, la plupart des auteurs quand on leur demandait « Est-ce qu’on peut devenir auteur professionnel aujourd’hui ? » ils disaient tous oui. Maintenant c’est moins évident, et aujourd’hui les conseils c’est plutôt de se diversifier. Quand on est auteur, il faut essayer d’écrire des romans, d’écrire des nouvelles, d’écrire des scénarios de BD, d’écrire des scénarios de jeux vidéo… Aujourd’hui être auteur c’est ça, c’est être auteur dans plein de médias différents.
MF : J’allais dire aussi qu’on se complète aussi à ce niveau-là puisque moi, contrairement à vous, je ne vis pas de l’écriture et j’en suis extrêmement loin au niveau de mes revenus, par contre je vis de la traduction.
LG : Mais c’est être auteur d’une certaine manière.
MF : C’est être auteur d’une certaine manière, mais disons quand les gens me posent la question « Est-ce que vous en vivez ? » et que je leur explique la différence entre ce que peut rapporter l’écriture et la traduction, je vois les mâchoires qui tombent et je pense que les gens ne se rendent pas vraiment compte de tout cet aspect-là.
LD : Tout à fait. On détaillera le sujet dans un futur épisode, je pense qu’il s’appellera « Vivre de sa plume ». Petite citation pour terminer ?
MF : Alors, citation pour terminer… C’est une citation de Stephen King dans son essai Ecriture, et qui nous dit : « Écrire n’a rien à voir avec gagner de l’argent, devenir célèbre, draguer des filles ou se faire des amis. En fin de compte, écrire revient à enrichir la vie de ceux qui liront vos ouvrages, mais aussi à enrichir votre propre vie. C’est se tenir debout, aller mieux, surmonter les difficultés. Et faire qu’on soit heureux, d’accord ? Oui, faire qu’on soit heureux ».
Jingle : C’était Procrastination, merci de nous avoir suivis. Maintenant assez procrastiné, soyez heureux, allez écrire.
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